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Date : 04-04-2024 11:50:45
L'ÉDITO DE NATACHA POLONY
4 avril 2024
"Face à la bigoterie et au soft power des islamistes, c'est la République qui perd"
Nous vivons dans un pays où un professeur a été décapité pour avoir exercé son métier. Nous vivons dans un pays où un professeur a été égorgé pour avoir consacré sa vie à transmettre le savoir et la beauté. Nous vivons dans un pays où un proviseur a dû démissionner de ses fonctions après des menaces de mort parce qu’il avait demandé à une élève de respecter la loi. On peut tourner la chose dans tous les sens, on peut se dire que le ministère a mieux réagi pour le proviseur du lycée Maurice-Ravel que pour Samuel Paty, les faits, pourtant, sont têtus : à la fin, c’est la République qui perd.
Passons sur la lâcheté du rectorat, qui a essayé d’habiller cette défaite en « mise en retrait pour convenance personnelle ». Passons sur les questions faussement prudentes de la députée insoumise Danielle Simonnet se demandant si « le proviseur a réellement frappé l’élève » pour mieux proclamer que « le respect du non-port du voile ne justifie aucune violence physique ». On aura compris, une fois de plus, le clin d’œil appuyé à tous les militants islamistes dont la rhétorique victimaire consiste à persuader les jeunes musulmans qu’ils subiraient une discrimination permanente et ciblée.
MÉCANIQUE PERVERSE
Le problème n’est même plus celui-là. Contrairement à ce qui se passait il y a quinze ou vingt ans, quand les rares voix qui tentaient d’alerter sur la progression de l’islamisme et les atteintes à la laïcité étaient réduites au silence, accusées de racisme ou de dérive droitière, les plateaux de télévision sont globalement unanimes pour condamner les menaces et les intimidations qui ont contraint ce proviseur à la démission. Mais cela ne changera rien. La mécanique perverse est bien rodée. Et elle montre très exactement comment la République perd du terrain face à des idéologues qui savent exploiter la bigoterie d’une jeunesse en mal d’identité.
Il y a bien sûr les complices, les idiots utiles. Le Bondy Blog qui se précipite pour donner la parole à cette jeune fille et monter en épingle une altercation dont l’objet était le simple respect de la loi. Et d’ergoter sur la quantité de tissu qui recouvrait la jeune fille (« Mon voile n’était même pas mis complètement, on voyait mon cou », explique-t-elle) sans se demander pourquoi une jeune fille trouve à ce point urgent de remettre son voile qu’il lui semble impossible de le faire en dehors du lycée.
On notera que le même Bondy Blog publie une série intitulée « Musulman(e)s et citoyen(ne)s » et dont les deux témoins féminins portent un voile. Visiblement, pour ce média censé parler de la jeunesse et de la banlieue, il n’est de musulmane que voilée. Cela s’appelle du soft power et c’est diablement efficace.
On notera également l’inévitable article de Mediapart qui s’insurge contre la volonté du Premier ministre de porter plainte pour dénonciation calomnieuse. « À l’entendre, écrit Prisca Borrel, [l’étudiante] serait donc responsable de cet engrenage pour avoir porté un bonnet, puis dénoncé "un coup". »
Les seuls enseignants interrogés sont ceux dont l’unique préoccupation est le risque de « récupération » de l’affaire par l’extrême droite, et les lycéennes manifestent, « musulmanes ou pas », en soutien à « la discrète jeune femme », dont il sera ainsi souligné qu’elle est majeure pour mieux suggérer qu’il est absurde de lui interdire de porter son voile dans l’établissement scolaire. Quant au réflexe qui consiste, pour une élève, à porter plainte immédiatement contre un proviseur pour une altercation et un rappel à la loi, il n’est évidemment pas contesté.
LE DANGER DE LA BIGOTERIE ORDINAIRE
C’est tout le drame de cette affaire. Le ministère et le proviseur lui-même peuvent déposer des plaintes contre ceux qui, sur les réseaux sociaux, ont menacé de mort (l’un des deux individus identifiés a d’ailleurs d’ores et déjà été relaxé), cela restera insuffisant face à la gangrène que constitue le réflexe désormais acquis de prendre à témoin sur Snapchat ou TikTok des inconnus invités à prendre position sur tel ou tel fait et à défendre leur supposée communauté.
Ce qui est désormais contesté par une majorité de jeunes gens, c’est le fait pour la République d’imposer sa loi aux religions. Et tous les entrepreneurs de l’identitarisme y vont de leur travail de sape. Les intellectuels qui expliquent doctement que la laïcité se limiterait à la seule loi de 1905, qu’ils réduisent à une loi de « neutralité du service public » pour « protéger la liberté religieuse ». Les journalistes et militants qui, à l’instar de Mediapart, déplorent sans rire une laïcité qui induirait une « pression sur les jeunes filles ».
Rétablissons donc quelques vérités : ce sont les religions qui exercent une pression sur les jeunes filles en leur imposant des vêtements marquant leur obligation de cacher un corps coupable de susciter le désir. La laïcité est un principe de liberté dont le but est de protéger les individus contre l’emprise des religions et l’enfermement dans leur communauté de naissance. Et si la loi de 1905 était libérale pour les individus, son application par les juges, comme l’a montré Patrick Weil dans son livre De la laïcité en France, a été impitoyable vis-à-vis des prêcheurs.
Le danger n’est pas seulement l’islamisme violent mais la bigoterie ordinaire, contre laquelle le culte de la raison et de l’émancipation par le savoir est la seule arme. Encore faut-il limiter sa destruction par le consumérisme et l’obligation de « respect » envers la connerie satisfaite.
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